Les ténèbres de Ribera illuminent le Petit Palais
HISTOIRE DE L'ART
Yoann Octobon
2/26/20254 min temps de lecture
Depuis le 4 novembre 2024 et jusqu’au 23 février 2025, le Petit Palais met à l’honneur Jusepe de Ribera, retraçant l’évolution de son style, entre ténèbres et lumière. Depuis 2002, grâce aux recherches de Gianni Papi, qui a identifié le « Maître du Jugement de Salomon » comme étant Ribera, près de soixante œuvres de sa période romaine sont rattachées à son corpus. Pour la première fois en France, une rétrospective complète est consacrée à l’œuvre de Jusepe de Ribera. Sous le commissariat d’Annick Lemoine et Maité Metz, l’exposition montre comment Ribera développe un style personnel et s’émancipe de l’influence du Caravage. L’accrochage aéré et soigneusement conçu, présente plus d’une centaine d’œuvres dont 80 peintures et une vingtaine de dessins et estampes. La plupart proviennent de musées étrangers et de collections privées. Ces œuvres permettent de redécouvrir le naturalisme intense et l’esthétique de la violence caractéristique de l’artiste. La scénographie de l’exposition, pensée en deux temps, mêle une approche chronologique et thématique. La période romaine de Ribera est mise en valeur sur des murs ocres rappelant les pigments de sa palette. Quant à la période napolitaine elle s’illustre sur des fonds bleus en écho aux thématiques religieuses et philosophiques qui lui sont chères.


À Rome, celui que l’on surnomme Lo Spagnoletto "le petit Espagnol" affine son style et perfectionne sa technique. Il s’approprie le naturalisme en clair-obscur propre au Caravage, qui venait alors de quitter la cité des sept collines, tout en développant une esthétique qui lui est propre. Le réalisme, la théâtralité et le jeu des ombres font rapidement de Jusepe de Ribera l’un des plus grand artistes de l’age baroque. Rejetant les codes du beau idéal alors en vogue dans la Haute Renaissance italienne, Ribera se démarque par son usage du ténébrisme et le choix de ses sujets. Dans son Allégorie des cinq sens, il ne représente pas des figures idéalisées, comme le voulait la tradition, mais des gens du peuple qu’il côtoie. Ce réalisme brut qu’on retrouve également dans Le Mendiant (1612), accorde une dignité inédite aux plus modestes, bousculant les hiérarchies sociales de l’époque. Le réalisme des figures humaines qu’il peint suscite la sympathie et l’identification, un schéma qu’il transpose aux ermites et aux saints. Parmi eux, saint Jérôme occupe une place centrale avec plus de quarante représentations recensées. À Rome, ses séries d’Apostolados lui permettent de s’imposer et de séduire d’importants collectionneurs, sensibles au mysticisme de ses œuvres.
Ribera s’installe à Naples en 1616 et y demeure jusqu’à sa mort en 1652. Succédant au Caravage, disparu six ans plus tôt, il s’impose comme le nouveau maître du naturalisme en clair-obscur. Dans la vice-royauté espagnole, son style évolue, désormais il combine le ténébrisme de sa période napolitaine avec le colorisme vénitien. Sa renommée grandissante lui vaut de nombreuses commandes, et il devient peintre de cour. Toutefois, Ribera continue à défier les conventions en représentant la pauvreté avec une profondeur psychologique inédite. En témoignent ses séries de philosophes et de mendiants, réalisées pour le duc d’Alcalá dans les années 1630. Les haillons contrastent avec la noblesse intellectuelle des figures, tout comme la beauté intérieure de ses sujets s’oppose à leur apparence physique. Ribera magnifie ainsi le quotidien et met en lumière la misère, notamment à travers des œuvres comme Le Pied-Bot qu’il réalise en 1642.
Adepte de la sanguine, de la plume et de l’encre, une salle est consacrée à sa production graphique. Son trait vigoureux se distingue dans ses dessins où l’on perçoit son intérêt pour les physionomies. Cette section met également en lumière l’importance de la diffusion de ses œuvres par la gravure, ses séries de planches, largement diffusées en Europe, ont renforcé sa notoriété. Ce processus permettait de diffuser ses œuvres rapidement et à moindre coût.




La rétrospective met en lumière l’impact du contexte religieux sur l’œuvre de Ribera. Une salle présente, deux Lamentations sur le christ mort et une Piétà habilement mises en dialogue. Le réalisme de l’artiste résonne avec les préceptes du Concile de Trente, convoqué par le pape Paul III en réponse à la Réforme protestante. L’art devient un moyen de soutenir les dogmes catholiques pour attirer de nouveaux adeptes. Les toiles de Ribera conjuguent l’expression poignante de la douleur et la sincérité des visages, sont employées pour émouvoir le spectateur et l’inviter à l’adoration du divin. Le pathos dans l’oeuvre de l’artiste espagnol est mis en valeur par la représentation des figures issues du peuple, qu’il peint avec une rudesse assumée. Cette dimension s’accompagne de la spectacularisation de la violence, comme en témoignent ses scènes de torture et de mise à mort inspirées par l’Inquisition. Parmi elles, on trouve des œuvres telles que le Martyr de saint Barthélemy, Saint André ou Saint Sébastien, où les crucifixions et supplices s’inscrivent dans le contexte de la Contre-Réforme. Le réalisme cru de Ribera, accentué par sa matière empâtée, contraste avec sa production mythologique. Des œuvres comme Silène ivre, Vénus allongée ou Vénus et Adonis illustrent l’étendue de ses talents, démontrant sa capacité à explorer des registres variés. Après s’être fait connaître pour son ténébrisme et ses figures isolées, Ribera élargit son traitement de la lumière, qui finit par envelopper ses toiles dans leur totalité. Deux paysages bucoliques idéalisés, exposés en fin de parcours, invitent à la méditation sur l’œuvre de Ribera et rappellent son lien étroit avec les commandes espagnoles.




Le style âpre du plus « féroces interprètes du Caravage » est mis en avant dans cette exposition. Elle illustre comment cet artiste d’origine espagnole, issu des bas-fonds de Rome, a su accéder au succès et à la reconnaissance. Né dans les ténèbres, son œuvre, en constante évolution, témoigne de la manière dont Ribera s’élève vers la lumière.
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